Nouveaux horizons pour le RAFALE !

Mis en service en 2004 dans la Marine nationale, deux ans plus tard dans l’armée de l’Air et de l’Espace, le Rafale a encore de longues années de service opérationnel devant lui. La récente qualification du standard F4 et la préparation du standard F5 préfigurent l’avenir de l’aviation de combat au sein du Système de combat aérien du futur (SCAF). Le point sur les enjeux et les perspectives du programme, avec l’ingénieur général de l’armement Arvind Badrinath, directeur de l’unité de management « Combat aérien » au sein de la Direction générale de l’armement (DGA).

Lancé en 2018, le standard F4 du Rafale a été qualifié par la DGA en mars 2023, pour la version F4.1. Quel est l’intérêt d’avoir divisé ce standard en plusieurs étapes ?

Le programme Rafale a toujours eu une logique de démarche incrémentale. L’objectif est de pouvoir livrer aux forces des capacités initiales le plus rapidement possible, dès qu’elles sont disponibles, sans avoir à attendre la totalité des équipements en fin de standard, quelques années après. L’idée est d’être réactif et surtout d’intégrer du retour d’expérience opérationnel dès que possible. Le fait d’avoir divisé le standard F4 en trois incréments nous permet d’intégrer le RETEX dans les prochaines capacités à livrer.

Nous rétrofitons l’ensemble de la flotte au nouveau standard pour pouvoir disposer d’une flotte la plus homogène possible, avec le même niveau de capacités sur chaque appareil, afin de faciliter les travaux de maintenance et de former les pilotes sur une seule version. Tout cela facilite la mise en œuvre de l’avion.

Quelles sont les nouvelles capacités apportées par le F4.1 ?

Avec ce premier palier, le Rafale entre véritablement dans l’ère du combat aérien collaboratif, dans une logique d’interaction accrue et permanente entre le Rafale et d’autres Rafale. L’intégration du viseur de casque Scorpion est un « game changer », que ce soit en air-air ou en air-surface. L’AASM [Armement air-sol modulaire, NDLR] de 1000 kg apporte une force de frappe nettement supérieure. L’intégration de l’IRST [Infrared Search and Track, ou veille infrarouge, NDLR], qui permet de détecter des cibles à très longue portée, donne entière satisfaction.

La capacité opérationnelle initiale a été déclarée en 2024, avec plus de 70 % de la flotte rétrofitée au F4.1, et la Marine nationale ainsi que l’armée de l’Air et de l’Espace sont désormais totalement familiarisées avec ce nouveau standard.

Que va apporter le F4.2 en termes de capacités ?

Le développement du F4.2 a débuté en parallèle du F4.1. Il comprendra notamment une capacité SATCOM [communication par satellite, NDLR] testée récemment et qui donne satisfaction. Nous développons également le volet « simulation embarquée », qui permettra de réduire les coûts tout en facilitant l’entraînement et la formation des équipages. Concrètement, plus besoin de déployer des cibles réelles lors d’un vol d’entraînement : le Rafale sera équipé d’un émulateur capable de simuler des adversaires, rendant possibles des missions particulièrement complexes sans avoir besoin de recréer tout l’environnement opérationnel face à lui.

Autre nouveauté du F4.2, pensée spécifiquement pour la Marine nationale : des aides à l’appontage, destinées à réduire la charge de travail du pilote, aussi bien lors de la manœuvre d’intégration dans le circuit que pendant celle de l’appontage. Nous avons introduit un nouveau guidage et changé le logiciel des commandes de vol, qui ont été validées lors d’une campagne d’essais en octobre 2024. Les officiers d’appontage ont été bluffés par la précision de la tenue de trajectoire du Rafale, ce qui nous rend optimistes pour la suite. C’est une première étape, qui prépare le terrain, dans une logique d’appontage automatique qui pourrait voir le jour à l’avenir, notamment avec l’arrivée de l’UCAV [Unmanned Combat Air Vehicle – drones de combat aérien, NDLR].

Le F4.2 introduira également de nouvelles configurations d’emport, notamment pour intégrer deux missiles air-air complémentaires, renforçant ainsi les capacités du Rafale en combat aérien. Enfin, toujours dans une logique d’évolution incrémentale, l’amélioration continue des capteurs se poursuit également.

La qualification par la DGA – qui atteste de la conformité du système à ses spécifications – est attendue d’ici la mi-2025. Quant à la capacité opérationnelle initiale, qui sera prononcée par les armées, elle est prévue pour 2026.

Le F4.3 est attendu à l’horizon 2027, avec des capacités clés… Lesquelles ?

Le F4.3 est en effet en cours de développement chez les industriels. Il permettra d’intégrer le missile MICA NG, qui se distingue de la version actuelle par des capacités accrues de l’autodirecteur et par des modifications du mode de propulsion. Avec le MICA NG, nous repartons sur plusieurs dizaines d’années de potentiel opérationnel. Le système d’autoprotection SPECTRA sera également rénové, avec l’introduction du tout numérique dans ses fonctions de brouillage. Autre nouveauté : l’intégration du poste radio Contact. Bien plus qu’un simple poste radio, ce système permettra de transférer de la donnée de manière souveraine, un sujet sur lequel la France est en pointe.

Le standard F4.3, c’est également le début de l’intelligence artificielle (IA), qui sera intégrée au Talios [pod de désignation laser, NDLR] avec un mode « automatic target designation/recognition ». Ce ne sera plus au pilote de repérer visuellement sa cible sur les afficheurs du cockpit, mais au système de le faire, dans une logique d’apprentissage pour trouver les cibles plus facilement au fur et à mesure des vols. Ce système est toujours en cours de développement. L’IA sera également intégrée dans le radar pour établir des cartographies SAR (Synthetic Aperture Radar) qui détecteront automatiquement des zones d’intérêt.

Après le standard F4 arrivera le F5. S’agit-il d’une seconde jeunesse pour le Rafale ?

Lancer un nouveau standard, c’est franchir un cap. Avec le standard F5 du Rafale, l’objectif est de poursuivre le développement de l’avion dans une logique de rénovation à mi-vie, afin de lui garantir plusieurs décennies de potentiel supplémentaires, tout en renforçant son attractivité à l’export. À l’heure actuelle, le F5.1 est attendu pour 2033, et le F5.2 pour 2037.

L’enjeu majeur du F5, au niveau national, est le renouvellement de la composante nucléaire aéroportée. Avec l’intégration de l’ASN4G [Air-sol nucléaire de 4e génération, NDLR], il faut pouvoir transporter ce missile tout en disposant de la conduite de tir associée. Les travaux de levée de risque sont en cours. Une autre nouveauté importante concerne l’intégration de la famille d’armements air-surface futurs (AASF), qui comprend deux types d’effecteurs : une évolution de l’AASM, avec des propulseurs améliorés pour étendre sa portée et des autodirecteurs différents, et la famille des « smart weapons » de MBDA, capables d’agir en meute.

L’objectif du F5 est de réussir chaque mission en anticipant les menaces de demain. Il faut pouvoir se projeter et réfléchir aux capacités nécessaires pour y faire face. Dans cette optique, le Rafale sera doté de capacités de missions SEAD (Suppression of Enemy Air Defenses) ou DEAD (Destruction of Enemy Air Defenses), dans une logique d’entrée en premier. Cela passe par des capteurs de nouvelle génération, à l’image du radar RBE2 XG de Thales : en utilisant des modules composés de nitrure de gallium, il permettra d’avoir une capacité et une rapidité de calcul sans commune mesure, et de disposer par exemple d’un mode couplé pour l’air-air et l’air-sol en parallèle. Après le tout numérique en brouillage, le SPECTRA passera au tout numérique en détection avec le standard F5.

S’agissant des nouveaux systèmes optroniques, l’IRST évoluera vers un nouveau système OSF (capteur optronique secteur frontal), en mode « silent killer », soit un capteur très longue portée, capable de détecter des cibles potentiellement furtives en infrarouge et de tirer le missile ensuite. L’autre enjeu, c’est de disposer d’un pod qui fera à la fois de la reconnaissance et du ciblage (« T&R » – Targeting & Reconnaissance), à plus longue portée, en combinant les capacités des nacelles Talios et RECO NG dans un nouvel équipement aux capacités améliorées. L’évolution des capteurs ne sort pas de nulle part ; ce n’est pas une feuille blanche, mais bien le fruit d’études préalables financées par la DGA, et des briques technologiques mises au point par les industriels pour aboutir à un produit opérationnel.

Il faudra par ailleurs garantir une résilience additionnelle en environnement électromagnétique. C’est pourquoi nous allons moderniser les capacités de navigation inertielle en utilisant une nouvelle technologie HRG (Hemispherical Resonator Gyroscope), qui va venir remplacer les centrales inertielles gyrolaser actuelles. Ce système existe déjà sur certains avions et hélicoptères civils, et Safran Electronics & Defense travaille sur une version militarisée, plus compacte, qui permettra de gagner du poids dans l’avion. Quant aux liaisons de données, l’objectif sera de passer à des bandes de fréquences plus discrètes, toujours dans l’optique d’améliorer la résilience du système.

Les travaux ont également débuté pour envisager l’intégration du Rafale au porte-avions de nouvelle génération.

Quelle place le soutien prend-il dans la conception du futur standard ?

Il est pris en compte dès les premiers travaux de développement, car il faut penser en permanence et en parallèle à la maintenance de tous ces équipements, dans le but de décomplexifier le travail des mécaniciens et de réduire les coûts du maintien en condition opérationnelle (MCO). Cela implique de concevoir des solutions facilitant le MCO dès la phase de conception. Un exemple typique : de nombreux équipements, dont le radar, seront capables de s’autodiagnostiquer – indiquant à l’opérateur quelle pièce ou carte changer –, ce qui se fera plus facilement et plus rapidement.

Parce que le F5 sera également l’ère de l’UCAV et des effecteurs déportés, quels sont les enjeux liés à ces futurs équipements ?

C’est effectivement le standard F5 qui nous permettra de mettre un pied dans la logique des effecteurs déportés, avec deux types d’équipements différents : le drone de combat et les effecteurs déportés pour la saturation. Ces derniers seront développés dans l’optique de disposer de matériels à bas coût pour avoir un effet de masse, un essaim connecté capable de réadapter la trajectoire grâce à l’IA. Quant à l’UCAV, dérivé du programme « nEUROn », il aura un rôle différent, du fait de ses capacités de très basse détectabilité. L’avancée de ce programme se fait en cohérence avec le F5, et les travaux sont en cours avec les industriels pour définir plus en détail l’architecture de cet aéronef. Beaucoup d’équipements seront communs au Rafale (optronique, contremesures, servocommandes, moteur), dans un « esprit de famille » entre le Rafale F5 et « son » UCAV. La force de ce binôme, c’est d’arriver à travailler ensemble, pour gagner encore davantage en efficacité.

Le F5 préfigure l’intégration du futur avion de combat (NGF – Next Generation Fighter) au SCAF. Comment se prépare cette prochaine étape ?

Chaque brique amène son lot d’apports opérationnels. C’est tout le sens de la logique incrémentale dans le développement des standards. Dans les années 2040, nous aurons la panoplie complète des capacités militaires requises pour faire face à la menace. Le standard F5 disposera de capteurs de très haut niveau, l’UCAV apportera la très grande furtivité, la famille AASF représentera un premier pied dans le domaine des effecteurs déportés… chaque item apporte sa pierre à l’édifice.

Le futur chasseur bénéficiera de tous les apports du Rafale F5 et de l’UCAV, dans une forme nativement furtive. Il ne s’agit pas de développer un avion tout neuf, car le futur avion sera le fruit de tout ce qui aura été développé avant, dans une démarche incrémentale et une logique de réduction des risques.

Cette logique incrémentale repose avant tout sur les femmes et les hommes qui mènent à bien ces projets. Il est donc essentiel de veiller à ce que la bonne compétence soit au bon endroit, que ce soit au sein de la DGA, des forces armées ou chez les industriels. Nous nous structurons autour d’équipes de petite taille, et il est important de préserver cette échelle humaine dans le cadre d’un projet aussi ambitieux que le SCAF. L’enjeu est de rester dans cette logique d’équipe État-industrie, quasiment partenariale, fondée sur le principe du « faire avec ». Le volet facteur humain me paraît être la clé du succès, au même titre que l’efficacité du radar. C’est tout l’objet du travail en plateau, beaucoup plus interactif et gage d’efficacité.

Pour travailler en coopération, entre industriels qui sont parfois aussi des compétiteurs, il est important d’établir un climat de confiance entre les différents acteurs. Il ne s’agit pas de simplement se mettre d’accord sur un besoin, surtout s’il induit des financements qui dépassent les crédits. Il faut aussi, en parallèle et sur le long terme, mener les travaux en fonction de la soutenabilité financière. Des points d’achoppement subsistent : tous les acteurs n’ont pas forcément la même lecture des problématiques industrielles, et il reste des risques à lever. Les comités de pilotage sont pour cela l’occasion d’avoir des discussions franches – c’est le propre de toute coopération –, pour aborder toutes les thématiques, faire des points de situation, donner son avis et trouver des conditions harmonisées permettant d’avancer.

Les pays utilisateurs du Rafale participent-ils aux évolutions du programme ?

Le « club Rafale » crée un esprit de communauté, avec des échanges réguliers sur l’utilisation de l’avion, la maintenance, etc. Les RETEX opérationnels dépendent des problématiques de souveraineté et de confidentialité, mais il arrive effectivement que certaines nations transmettent des expressions de besoin à Dassault Aviation. Si l’idée semble pertinente pour le reste de la communauté, l’avionneur informe les autres utilisateurs pour évaluer la possibilité d’une approche conjointe.

Le Rafale va voler encore durant quelques décennies. Comment envisagez-vous l’ère « post-Rafale » ?

La production des Rafale se poursuit selon un format bien défini, avec des livraisons prévues jusqu’aux années 2030-2040. Ces avions neufs ayant un potentiel de 30-40 ans minimum, le Rafale F5 volera donc jusque dans les années 2070.

Nous anticipons dès à présent, car la menace évolue rapidement. C’est un travail que nous envisageons sous la forme d’une feuille de route incrémentale, axée sur le développement de capacités déjà existantes. Toutes les briques sont mises au point au fur et à mesure et vont naturellement se retrouver dans le programme de chasseur du futur. Le programme SCAF intègre tous ces paramètres, le but étant bien de monter en maturité sur les différentes technologies, grâce à des démonstrateurs, pour atteindre le niveau adéquat à la mise en service d’un produit opérationnel. C’est tout le sens des sept piliers du programme SCAF – avion, moteur, effecteurs déportés, cloud de combat, simulation, capteurs, furtivité –, avec l’ambition de disposer d’un démonstrateur en vol à l’horizon 2029-2030, et d’équiper les forces aériennes d’un avion pleinement opérationnel au début des années 2040, afin d’être à l’heure et au rendez-vous des besoins capacitaires. 

Propos recueillis par Helen Chachaty, journaliste spécialiste des questions de défense et aérospatiales le 20 février 2025.

Légende de la photo en première page : Les nouveaux systèmes d’aides à l’appontage intégrés à bord du Rafale F4.2 permettront de réduire la charge de travail des pilotes de l’aéronavale, tout en préparant le terrain pour l’appontage automatique des futurs drones de combat embarqués. (© Dassault Aviation/Anthony Pecchi)

Pour aller plus loin…

Article paru dans la revue DefTech n°13, « Comment préparer la guerre aérienne de demain », Mai-Juillet 205.

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